Mot de la metteure en scène – Iphigénie à Pointe-aux
« Quand j’étais jeune, chaque enfant de ma famille était dépeint en un seul adjectif. Ma sœur était belle, mon frère drôle, et moi, j’étais… sage. J’ai toujours détesté cet adjectif, que je voyais plutôt comme un défaut. Sage comme dans docile, comme dans timide, comme dans : « regarde-moi pas trop intensément, sinon je vais fondre dans les craques du divan et me cacher parmi les miettes de tostitos pour fuir les questions; celles auxquelles je répondrai inévitablement mal avec mes mots trop pauvres, mon ton trop faible, mon débit trop rapide ». J’aurais préféré être futée ou courageuse, mais j’étais sage et dans ma fausse sagesse, je taisais ma révolte, j’acceptais mon sort, convaincue que chaque être humain était réduit à un seul mot pour définir toute sa complexité.
Aujourd’hui, je comprends que chacun a son propre petit Robert d’adjectifs et je croise dans les regards de la majorité de mes concitoyens ce même « sage » qui me hante. Et si on arrêtait d’être sage? De tout accepter, de porter plus que notre part? Que se passerait-il?
La figure d’Iphigénie, dans la mythologie grecque, me fascine. Elle est souvent décrite comme courageuse ou généreuse, offrant le sacrifice ultime à son père, Agamemnon, pour qu’il puisse partir vers Troie. Mais, au finale, Iphigénie est elle aussi bien «sage» pour papa, et dans son mythe, on oublie souvent que son courage, sa générosité, son sacrifice auront été utilisés pour commettre un génocide.
Dans la pièce que vous allez voir ce soir, Owen propose une Iphigénie contemporaine, portrait d’une femme qu’on prend, qu’on utilise jusqu’à la corde, puis qu’on rejette, évoluant dans une société confrontée à une austérité trop familière. Son Iphigénie est belle, drôle, sage, comme chaque membre de ma famille. Elle incarne aussi chacun d’entre nous, ceux qui sont forts, capables de tout encaisser. Mais encaisser pour qui, exactement? Qui profite de nos luttes, de nos crises, de notre appauvrissement?
À travers ce texte universel, je m’adresse surtout à ma génération, ces jeunes adultes aux poches vides qui se demandent où trouver le luxe d’exister dans un monde en crise.
Merci à tous celleux qui ont rendu cette aventure possible, vous êtes lumineux.ses – et tout autre adjectif que votre cœur désir ! »
Isabelle Bartkowiak
Metteure en scène d’Iphigénie à Pointe-aux