LES ENSEVELIES : Mot de la metteure en scène
Un mot de la metteure en scène pour le public
Je me souviens des soirs d’été où, enfants, nous courions dans les bois avant que le soleil ne se couche. Je me souviens des frissons d’excitation qui parcouraient mon corps pendant que je chantonnais joyeusement : « Promenons-nous dans les bois, pendant que le loup n’y est pas. S’il y était, il nous mangerait… »
Je me souviens de la vitesse avec laquelle je tirais les rideaux de ma chambre, persuadée qu’un soir, j’apercevrais la silhouette d’un homme tapi à la lisière du bois. Je me souviens d’éteindre la lumière et de bondir dans mon lit, terrifiée à l’idée qu’un homme, caché sous la base, m’attrape le pied pour m’entraîner dans ses ténèbres.
Je ne me souviens plus à quel âge j’ai commencé à craindre d’être dévorée, traquée, happée par les hommes. Je ne sais plus à quel moment j’ai perdu l’insouciance du danger, ni quand j’ai compris que mon corps de fille serait perçu, avant tout, comme un objet à posséder. Peut-être l’ai-je toujours su, confusément ?
À une époque marquée par de profonds clivages sociaux et de vastes remises en question sur nos rôles genrés, Les ensevelies pose un regard d’une douce violence sur ces relations complexes entre les femmes et les hommes. Caroline Bélisle y explore la méfiance, la domination, la peur, mais aussi la perte (celle de l’innocence comme celle de la vie) pour nous tendre un miroir sur ce qu’il y a de plus laid chez l’humain, sans jamais céder à la morale. Par la forme de la fable initiatique, elle nous ramène vers un territoire familier : celui des histoires qui nous ont façonné·es, à l’époque où l’on cherchait encore à comprendre le monde avec candeur.
J’espère, par ma mise en scène, avoir rendu justice au brillant texte de ma belle amie, pour qu’à la sortie du spectacle, ses mots continuent de résonner en vous, spectateur·ices.
Pour que vous ressortiez de cette salle la tête pleine de réflexions, le cœur un peu retourné, mais habité·es par une douce espérance : celle de pouvoir, ensemble, cultiver autre chose. Pour que les enfants que nous ferons naître demain puissent, un jour, goûter pleinement à l’insouciance du danger.
Isabelle Bartkowiak.